La matinale littéraire

Tous les mois, on décrypte des tendances littéraires, on réfléchit autour de la littérature et de la vie de lecteur-rice !

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Par Mamzelle Potter
12 déc. · 5 mn à lire
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La Dark Romance, une littérature à double tranchant

La dark romance mélange romance, violence et thèmes sensibles et intrigue autant qu'elle interroge. Cette sous-catégorie de la romance s'inscrit dans la lignée des œuvres érotiques récentes, telles que "50 nuances de grey" d'E.L. James. Cependant, cette littérature soulève des interrogations quant à sa place dans nos valeurs actuelles de la société

Cette semaine, une actualité plutôt intrigante : le dernier livre qui a connu un très gros succès en termes de vente, celui du Prince Harry, Le suppléant, publié chez Fayard est désormais battu par une jeune autrice, inconnue auprès du grand public. Il s’agit de Sarah Rivens et de sa saga dark romance, Captive, publiée chez Hlab. Cette nouvelle amène à s’interroger sur ce genre, notamment à l'heure où la parole des femmes se libère, où l'on tente d'éduquer la population et où l’on va parfois jusqu’à vouloir réécrire certaines œuvres classiques pour mieux coller à notre société actuelle.

L'autrice à succès Sarah Rivens et sa saga à succès, Captive. L'autrice à succès Sarah Rivens et sa saga à succès, Captive.

Dans la lignée de la saga à succès Cinquante nuances de Grey qui a révolutionné le genre de l'érotisme en le dépoussiérant, et qui a eu un succès retentissant, d’autres ouvrages ont rapidement suivi pour profiter de cette mode, comme la saga adolescente After d'Anna Todd, la première auteure à connaître un succès phénoménal sur la plateforme Wattpad (un autre article arrive prochainement autour de cette plateforme) suivie de près par Colleen Hoover, par exemple. Majoritairement écrites par des femmes, ces œuvres ont connu un succès certain donnant naissance à de nombreuses maisons d’éditions se spécialisant dans le genre de la romance et de ses sous-catégories. Les personnages féminins naïves et fragiles, rencontrant un personnage masculin charismatique et sombre ont su charmer un public assez grand.

Mais #Metoo finit par surgir et la parole des femmes se libèrent mettant en lumière les comportements masculins problématiques dont les fameux « red flags » et tend à promouvoir enfin une image de la femme plus forte, indépendante. Cependant ce genre ne semble par souffrir outre mesure de l’adjectif « d’avant #Metoo » et continue à charmer encore aujourd’hui.  

Alors, comment lire aujourd'hui ces romances qui mettent en scène des comportements violents ou problématiques à l'heure où la société tend à éduquer et à offrir une autre image du couple et de la femme ? Comment expliquer cette tendance que l'on trouve actuellement, notamment via #booktok, avec le fameux "good girl", réplique que l'on retrouve souvent dans ce genre de romance ?

 

Pour commencer, il est important de définir ce qu'est ce genre qui semble attirer de nombreuses lectrices et lecteurs. La dark romance est un sous-genre de la romance qui gagne de plus en plus en popularité. Cette dernière met en scène des relations amoureuses complexes et sombres. Dans ce genre d'ouvrages, les personnages masculins sont dominants, violents, nerveux et possessifs, parfois à l'extrême. Les femmes, évidemment, y sont dépeintes comme soumises et faibles, même si cette tendance tend à disparaître au profit d'une jeune femme qui connaîtra ses limites et fera preuve d'un plus grand caractère (mais toujours inférieure dans la relation d'une façon ou d'une autre). Cela peut paraître donc curieux, voir dérageant que certaines femmes puissent trouver un divertissement auprès d’un personnage féminin qui va subir les oppressions masculines. Cela est en contradiction avec les témoignages par exemple qui peuvent aborder ces thèmes aussi auprès d’un public, mais dans un but qui est avant tout celui de la prévention et le partage d’une expérience personnelle et intime. 

Cela pose évidemment la question de la normalisation de ces comportements, surtout auprès des plus jeunes qui vont parfois aller jusqu’à penser que ces comportements toxiques peuvent être acceptés ou pire, désirables. C’est un peu d’ailleurs ce qui peut effrayer dans cette tendance récente sur les réseaux sociaux, dans une partie de la communauté #booktok ou #bookstagram . Les jeunes femmes proposent de lire ces romans « spicy » sous le hashtag #spicybook ou encore, rendent à la mode cette réplique « you’re a good girl », qui reste très connotée, et en lien avec ce genre de littérature et contribuent à mettre en valeur ce genre de comportements (masculins et féminins). 

La plupart des auteurs de ce genre sont majoritairement, comme pour les romances en général, des femmes, et sont à destination d’un public majoritairement féminin. Dans ce genre littéraire, les comportements violents et toxiques, les mentions de viol ou la soumission des femmes sont le fonds de commerce. Considérant que le public est censé être un public éduqué sur ces questions, il faut aussi prendre en considération que la lecture reste un moyen de se divertir. Certaines lectrices peuvent donc considérer que cela reste un moyen d’explorer des fantasmes, voir ceux réprimés par la société sous-entendant donc, une connaissance des comportements toxiques ou inappropriés.  Dans une certaine mesure, on peut comparer ce divertissement qui appartient à un public majoritairement féminin et averti, à la pornographie qui reste avant tout visionné par un public masculin, qui lui aussi est censé être un public majeur, donc éduqué sur ces questions. En ouvrant ce genre d’ouvrages, les jeunes femmes ont donc conscience des problématiques sociales qui ne doivent pas devenir une réalité, mais voient en ces romans un univers en lui-même, comme d’autres genres littéraires qui ont leurs propres codes, comme le genre fantastique.

Cette littérature est donc normalement destinée à un public averti, ou en tout en cas en âge d’avoir un certain recul sur le contenu de l’oeuvre. Cependant, le site de l’éditeur caractérise ce roman en « littérature sentimentale », et est Hlab, une filière d’Hachette romans et reste notamment une maison d’éditions publiant du jeunesse et du young adult. Néanmoins, une libraire interrogée qui vend ce roman, et qui l’a lu elle-même et a apprécié sa lecture, a tout de même mentionné qu’elle ne le conseillerait pas à un public de moins de 16 ans. Malgré la présence du message d’avertissement présent au début du roman et qui est une très bonne idée de la part de la maison d’édition, cela ne suffit pas à rendre ce roman inaccessible auprès du jeune public, influencés par les réseaux sociaux et qui lui reste encore à éduquer sur les comportements et les relations intimes. 

Avertissement présent au début du roman afin de prévenir les lectrices et lecteurs. Avertissement présent au début du roman afin de prévenir les lectrices et lecteurs.

 Cependant, il faut mentionner que ce genre de « warning » est une très bonne idée pour mettre en gardes celles et ceux ayant pu vivre ou sensibles à ce genre de traumatismes et qui n’auraient les connaissances des codes du genre. Il faut savoir que certains ouvrages peuvent avoir la mention « pour un public averti » sur leurs couvertures comme la fameuse série « Les contes interdits », qui sont des romans « horreur » et qui ont aussi la mention « déconseillé au moins de 18 ans ». Cette accessibilité sous-entend donc qu’il faut aussi une attention active de la part des parents, comme en matière de réseaux sociaux, ainsi que pour les films. La faute ne peut donc pas reposer seulement sur les autrices du genre. 

En conclusion, la dark romance est un genre qui soulève des questions éthiques et sociales importantes, en particulier en ce qui concerne la représentation des femmes. Bien qu'il puisse offrir une évasion de la réalité et permettre aux femmes d'explorer des fantasmes réprimés, cette problématique soulève avant tout un besoin d’éducation et de prévention autour des réseaux sociaux et des relations entre les hommes et les femmes.